Journal d’expérience : Le réemploi à l’Océanite, réhabilitation à Rouen

Conscient de son pouvoir d’action, Studaré, avec le soutien de l’Armée du Salut, a initié des objectifs ambitieux de réemploi dans la conception de la restructuration lourde à Rouen.

Cet article a pour but de partager nos réflexions sur l’intégration du réemploi dans ce projet de réhabilitation, de se questionner sur l’impact de cette pratique sur le processus de projet, de réfléchir sur ses avantages et ses enjeux, et enfin d’exposer les difficultés rencontrées.

La commande du maître d’ouvrage est de réhabiliter une pension de famille de 16 personnes existante pour l’agrandir au sein même de la parcelle, en conservant l’espace associatif situé au rez-de-chaussée. Le double programme occupe un bâtiment ancien et remarquable du centre-ville et ses annexes plus récentes, fortement dégradées et vétustes à cause de fondations superficielles et d’un incendie. Studaré conçoit la restructuration complète de l’ancienne bâtisse, la démolition des annexes et la création d’une extension neuve.

Stockage et reconditionnement des briques dans un hangar prêté par l’Armée du Salut

Un processus spécifique

Intégrer le réemploi dès les prémices du projet 
Les annexes sont en péril ; les fissures lézardent les murs, et l’occupation est interdite suite à un diagnostic structurel. La démolition de ces éléments bâtis est donc au cœur de la conception du projet. Pour tirer profit de cette contrainte majeure liée à l’état initial, Studaré envisage directement le réemploi des matériaux constitutifs des annexes. Soutenu par l’Armée du Salut, Studaré sollicite une partenaire spécialisée, Seconde Main, pour s’engager globalement dans la valorisation des matériaux, élargir la recherche de réemploi à tout le site et développer une réflexion sur l’utilisation de ressources pour équiper les deux programmes.
La première étape pour déployer la démarche de réemploi a été l’inventaire des ressources. Il se focalise sur les produits du bâtiment ayant un potentiel de réemploi in situ ou ex situ (sur ou hors du chantier du projet). Il s’agit d’un relevé qualitatif et quantitatif des éléments visibles et accessibles, ou bien basé à partir d’une hypothèse quantitative et dimensionnelle pour les éléments inaccessibles. Ce diagnostic s’appuie sur les études parallèles du bâti existant, concernant la présence d’amiante ou de plomb, par exemple, qui pourraient changer drastiquement le type et la faisabilité de réemploi ou réutilisation. Un des enjeux du partenariat entre Studaré et Seconde Main est la crédibilité des hypothèses à prendre et à soumettre ensuite aux entreprises de travaux. Le réemploi à inclure dans le processus de conception ne peut pas rester hors sol ; il scrute l’existant et engage des réflexions pratiques et techniques bien plus tôt qu’avec des matériaux neufs.


Créer des synergies vertueuses
Dans ce diagnostic des ressources, Seconde Main a également établi une liste d’acteurs locaux sur lesquels s’appuyer. Au cœur de l’engagement envers le réemploi se trouve un tissu dense d’acteurs experts. Leur complémentarité d’interventions et de compétences conditionne le processus de limitation des déchets et de consommation d’énergie.
Le réseau d’acteurs pour l’Océanite est un cas d’école avec des synergies très riches. Seconde Main accompagne la maîtrise d’ouvrage en lien avec Studaré dès la conception. Lors de ces phases initiales, Les Batineurs sont repérés comme entreprise spécialisée dans le domaine du curage, de la dépose soignée et du reconditionnement. Ils sont eux-mêmes partenaires d’une entreprise de démolition et de désamiantage qui accompagne les réflexions de Studaré pour la définition des cahiers des charges. La brique, matériau porteur des annexes à démolir, est au cœur d’une mise en collaboration locale. L’Armée du Salut signe une convention avec Les Batineurs qui utiliseront la halle industrielle sous-exploitée pour le stockage et le reconditionnement des briques (retirer le mortier, nettoyer et trier les briques). Cela devient aussi l’occasion de proposer des heures d’insertion pour les résidents de l’Armée du Salut, en élargissant la quantité de briques à travailler grâce à la dépose d’autres chantiers.
En parallèle, les entreprises de travaux ont signé des marchés incluant la démarche de réemploi pour leurs prestations. Le Plateau Circulaire est désigné par Seconde Main et Les Batineurs pour devenir un fournisseur à part entière, avec des équipements intérieurs reconditionnés. Dans les cahiers des charges, il est également nécessaire de définir clairement la limite des prestations entre les entreprises et leurs missions respectives afin de ne pas porter préjudice à l’une d’elles. À Rouen, le réemploi des briques a nécessité de définir le mode opératoire de dépose, le conditionnement, le stockage et le transport afin de coordonner l’intervention de l’entreprise de gros œuvre en charge de la démolition et celle de reconditionnement, Les Batineurs.

Schéma de la synergie réemploi pour le projet Océanite

Compétences à inventer

Le réemploi, en tant que pratique sur mesure, nécessite un apprentissage, l’adoption de nouvelles méthodologies et l’acquisition de nouveaux savoir-faire.

Maîtrise d’œuvre :
• Bien s’entourer, au-delà du binôme architecte-ingénieur
Dans le cadre des projets de réhabilitation intégrant le réemploi, la maîtrise d’œuvre doit impérativement s’entourer de partenaires compétents et spécialisés. Cette collaboration permet de réaliser des diagnostics précis et de formuler des exigences claires en matière de réemploi.
• Adaptation et flexibilité pour réagir aux enjeux mouvants
L’adaptation est essentielle pour s’ajuster aux contraintes imprévues et aux opportunités qui se présentent au cours du projet. En s’appuyant sur une équipe solide et en restant flexible, la maîtrise d’œuvre peut intégrer efficacement des pratiques de réemploi tout en répondant aux objectifs environnementaux et économiques fixés.

 

Entreprises :
• Déconstruire plutôt que démolir
La démolition est un grand générateur de déchets dans le domaine du BTP. Il est impératif d’apprendre à déconstruire plutôt que de démolir, afin de considérer les déchets comme des ressources. Des entreprises spécialisées existent déjà pour cette tâche. Bien que plus long et plus minutieux, le curage soigné valorise à la fois les matériaux et les savoir-faire, tout en générant moins de déchets. L’équilibre financier est ainsi possible grâce à la réduction de la production de déchets.
• S’adapter plutôt que remplacer
Le réemploi permet de valoriser l’artisanat et de miser davantage sur le travail humain que sur les ressources. Reconditionner des briques et définir l’appareillage témoignent d’un savoir-faire propre à l’artisan et aux traditions locales. En plus d’être valorisantes, ces missions permettent de développer des compétences. L’artisan devient ainsi un partenaire incontournable pour ancrer l’architecture dans son territoire et garantir la pérennité de l’ouvrage.